Un membre de notre Club, Alain, a bien voulu accepter de témoigner de son activité d'élu à la mairie de Saint Thibault des Vignes. S'investir dans la vie de la cité est un exemple d'action citoyenne qui mobilise beaucoup de temps et d'énergie au détriment parfois de sa vie de famille, sans retour sur investissement immédiat. Mais une telle action, ce n'est pas seulement servir la France, c'est aussi participer à la construction de la cité dans un souci responsable de transmission d'un avenir meilleur à ses enfants. Ancré dans les valeurs de son pays d'origine, le Vietnam, résolument républicain et français à part entière, son témoignage permettra, nous l'espérons, de créer de l'émulation chez d'autres citoyens français d'origine asiatique.
Alain Buis (ou Bui Kiet Si), 46 ans, marié et 2 enfants, conseiller municipal à Saint Thibault des Vignes
Le Club CIFOA : "Pouvez vous nous expliquer l'origine de votre engagement ? "
Alain Buis : "Si je me suis engagé activement dans la commune où j’habite, c’est pour l’avenir de mes proches !
J’ai commencé à avoir cette idée en tête quand j’ai eu mon premier enfant, il y a 9 ans. J’habitais alors en appartement à Choisy-le-Roi, et je savais que, tôt ou tard, je devais chercher une maison en grande banlieue.
En 1999, j’ai trouvé un pavillon à St Thibault des Vignes (Marne-la-Vallée), avec l’espoir d’y rester le plus longtemps possible.
Dès lors, l’idée de mon engagement dans la vie locale s’est renforcée ; ce n’était ni une fixation, encore moins une obsession, mais, plutôt, une intuition.
L’opportunité de franchir le pas frappa à ma porte environ trois ans plus tard ; elle porte un nom : celui d’un de mes voisins avec qui j’entretiens, comme avec tous ceux de ma rue, de très bonnes relations.
Il m’a expliqué qu’à la suite de querelles internes des élus locaux, il fallait repasser par les urnes pour élire un nouveau conseil municipal, et donc un nouveau Maire. Or, il faisait lui-même partie d’une des trois listes en compétition, et sa « tête de liste » semblait souhaiter que je me rallie à sa candidature.
J’ai alors demandé à rencontrer cet homme, un ancien Maire-adjoint que je connaissais un peu, en présence de mon voisin-parrain. La rencontre eut lieu quelques temps plus tard ; à cette occasion, le candidat à la mairie m’exposa ses projets pour la commune, dont un m’intéressa particulièrement : celui de la reconstruction des écoles primaire et maternelle de mes enfants.
Une question, bien sûr, conditionna mon ralliement : pourquoi moi ?
Deux arguments furent invoqués par mon protagoniste : d’abord, dans une commune qui compte presque 15% d’habitants d’origine asiatiques, ma présence donnait une sorte de légitimité à sa candidature ; ensuite , il m’a confirmé que mes compétences professionnelles (dans le transport public depuis 20 ans) étaient aussi de très sérieux atouts.
Au cours du dialogue, j’ai pu apprécier non seulement ses qualités professionnelles, à travers ses connaissances profondes de la commune, mais encore ses qualités humaines.
J’ai donc accepté de rejoindre sa liste en formulant un seul souhait : avoir du travail, si je suis élu !
Et j’ai été élu !
La première chose que j’ai faite alors, c’est de me précipiter à la Fnac pour acheter des livres sur la constitution, les instances politiques nationales et locales, sur le rôle d’un élu communal…
Trois années ont passées, et, si j’ai perdu la chose précieuse qu’est l’anonymat au sein de ma commune, j’ai beaucoup appris et évolué.
Comme je le souhaitais, j’ai eu du travail, bien que tout n’ait pas été simple.
De fait, évoluer dans une équipe d’élus comportant 22 conseillers de la majorité et 7 de l’opposition est loin d’être une partie de plaisir. C’est encore plus vrai pour un « bleu » qui entame son premier mandat : bien souvent, les « équipes » sont effectivement déjà constituées, les élus sortants se sont déjà partagés les grosses parts du gâteau, et l’on vous demande surtout d’être sage ; combien de fois ai-je entendu la phrase : « reste assis et regarde-nous faire le boulot » !
La discipline n’est cependant pas mon fort et j’ai donc beaucoup crié et râlé dans un premier temps ; cet enthousiasme m’a valu quelques réactions surprenantes du genre : « On ne s’attendait pas à ce que vous, les jeunes élus demandent du travail ! ».
Ceci étant dit, à force de persévérance et de patience, et après avoir connu des moments difficiles moralement, j’ai eu la satisfaction de participer de plus en plus aux différentes actions de notre équipe, et de me sentir utile au service de la population.
Bien entendu, être élu alors que l’on a une activité professionnelle, est loin d’être évident : entre les réunions pour la commune, le travail et les activités ou la garde de mes enfants, je n’arrête guère.
Mais, même si cela prend énormément de temps, je le vis comme un loisir, un hobby.
Au final, cette activité ressemble beaucoup à celle d’une association, sauf que nous sommes forcément redevables envers les citoyens et tout ce que nous faisons peut être lourd de conséquences, dans un sens ou dans l’autre !
Trois ans, c’est long et court à la fois.
Sous la houlette d’un Maire dynamique et exemplaire, nous avons pu mener à bien plusieurs chantiers et projets qui contribuent à l’amélioration du cadre de vie des habitants.
Personnellement, ma plus grande fierté reste celle d’avoir initié et réalisé un projet : le jumelage entre ma commune et celle de Badia Polesine, charmante ville italienne près de Venise, en 2006."
Le Club CIFOA : "Être conseiller requiert un certain nombre de sacrifice. Après toutes les difficultés rencontrées , si c'était à refaire, le referais tu ? "
Alain Buis : "Et si c’était à refaire ?
Je le referais, bien sûr, malgré les soucis et les moments de découragements.
En étant élu, j’ai pu intervenir activement dans les affaires de la commune et faire entendre ma voix.
Nous nous sommes efforcés de consolider les installations existantes, et de préparer l’avenir de la commune et de ses habitants : ma récompense, c’est la satisfaction d’avoir contribué au bien être des habitants, de ma famille, et de voir ainsi mes enfants vivre et grandir dans un cadre agréable et convivial. Modestement, c’est aussi pour moi une sorte d’héritage que je leur laisse, pour peu qu’ils veuillent rester plus tard dans cette belle ville, à côté de leurs parents.
Le Club CIFOA : "Être conseiller municipal requiert-il un engagement politique ? "
Alain Buis : "Mon engagement politique n’est pas du tout une obligation qui m’a été imposée en tant qu’élu.
Pour être franc, au moment de notre contact pour les élections, mon Maire n’a jamais fixé de condition d’appartenance à un quelconque parti politique ; il ne m’a d’ailleurs rien demandé non plus après.
Notre commune a la particularité d’être gérée par des élus « sans étiquette », et cette tradition n’est pas près d’être remise en cause.
Ma démarche dans ce sens était donc complètement volontaire et personnelle : elle date de 2005, un peu avant les événements chauds des banlieues.
Depuis quelque temps, les actions et décisions de M. Sarkozy me semblaient porter leurs fruits dans la lutte contre l’insécurité, un domaine souvent traité de manière trop complaisante, voire démagogique.
Toutefois, je pense que la notion de « discrimination positive » évoquée par M. Sarkozy mérite d’être précisée, car je suis opposé à l’idée qui se résumerait à la formule : « si tu casses, on s’occupe de toi, plus tu casses, plus tu auras de chance d’avoir un job ».
Je suis évidemment d’accord pour aider ces jeunes, pour leur montrer la voie à suivre. Mais si cela se fait au détriment des autres communautés, et notamment des asiatiques qui ont la réputation d’être « sans histoire », là nous ne sommes plus sur la même longueur d’onde ; il faut s’occuper aussi des gens « qui ne cassent pas » !
C’est cette réflexion qui m’a motivée à chercher un contact, un parrainage pour l’UMP.
Sans vouloir faire du communautarisme, je pense en effet que le moment est venu de porter la voix des français originaires d’Asie, de défendre notre cause, d’affirmer notre présence et, par conséquent, de prendre toute notre place dans la société française, qui s’enrichirait de la diversité des uns et des autres.
Dans cette optique, je fais parti depuis quelques mois d’un groupe de réflexion appelé « le cercle de la diversité républicaine », piloté par Yves Jégo.
A vrai dire, ce groupe n’a jusqu’à présent rien réalisé de concret, sauf la fierté de compter quelques candidats (5% tout au plus) aux postes de députés issus de la diversité républicaine, dont aucun ne vient d’Asie.
Même si je suis contre toute idée de quota, il faut bien reconnaître que les français d’origine asiatique sont sous-représentés dans le mouvement national…d’où l’idée des jeunes de la génération montante de parier sur l’avenir, pour mieux occuper la scène politique."
Le Club CIFOA : "Que conseillerais tu au citoyen français d'origine asiatique pour l'encourager à participer de manière active aux Conseils municipaux de leur ville ? "
Alain Buis : "Que ce soit vis à vis de ma commune ou de mon parti politique, ma démarche fut toujours à la fois spontanée et réfléchie, passionnée et raisonnée.
Elle est basée sur des convictions simples, qui me guident : « les idées ne sont bonnes que si elles sont exprimées », ou encore « pour avoir le droit de critiquer, il faut s’engager ».
Si je puis me permettre de donner un conseil aux jeunes français originaires d’Asie qui souhaitent s’engager dans la vie sociale et/ou politique, c’est de croire en vous et de casser l’image un peu lisse et discrète que notre communauté affiche trop souvent, pour vous épanouir et vous affirmer en tant que citoyen français à part entière.
Il faut rester soi-même et fidèle à ses convictions, mais ne pas avoir peur non plus de s’engager ensemble, car les bonnes idées doivent aussi fédérer ! Nous sommes si semblables aux autres, tout en étant si différents !
Enfin, je pense que le fait d’être d’origine asiatique ne doit, en aucun cas, être un obstacle ou un inconvénient ; au contraire, il faut en faire une force, un avantage, et savoir tirer fierté et bénéfice de notre particularité, pour mieux participer à la société française. Notre capacité d’intégration, notre sens du respect d’autrui, notre richesse culturelle et intellectuelle sont autant d’atouts capitaux que nous devons mettre en avant, au-delà de notre stricte communauté. Dans nos communes, nous avons aisément la possibilité d’aller à la rencontre des habitants asiatiques, de faciliter leur démarche administrative, surtout pour ceux qui ont des difficultés à s’exprimer en français, pour, ainsi, les rapprocher des institutions locales et, au delà, les rapprocher de la France.
En résumé, n’ayons pas de complexe : nous avons toute notre place, dans les Conseils municipaux comme au sein des instances nationales…d’où que nous soyons !"
Le Club CIFOA : "Merci Alain de ton énergie et de ta passion citoyenne !"